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SMART/ trilogie pasolinienne
SMART – INTERVIEW
Fritz Böhme – De quelles exigences est né ton projet chorégraphique?
Carlo Locatelli – L’étincelle du projet fut une réflexion avec d’autres créateurs sur l’identité de l’artiste et de l’intellectuel dans la culture contemporaine. À partir de ces dialogues, lectures, questionnements se sont définies – en cohérence avec ma poétique – trois perspectives de travail, trois figures qui semblaient pouvoir incarner, ou au moins esquisser la complexité de la figure de l’artiste.
L’Artiste-Bouffon : jongleur de l’esprit, figure qui fait recours à la tromperie et à l’impertinence, finement entrelacé avec le pouvoir – politique, économique, médiatique ou administratif – quel qu’il soit.
L’Artiste-Guerrier : combattant, résistant, parfois provocateur et dérangeant, avant-poste critique des conventions sociales ; figure engagée par ses actions, par ses œuvres et par sa poétique.
L’Artiste-Esthète : subtil alchimiste ; figure qui transpose par le médium des langages artistiques et à travers une élaboration esthétique : une pulsion, un discours, un questionnement, un acte de résistance ou une provocation. C’est justement dans la dialectique entre ces trois « archétypes » que l’artiste se met en état de création et en rapport avec le monde.
Fritz Böhme - Pourquoi avoir choisi les textes littéraires de Pier Paolo Pasolini pour la création?
Carlo Locatelli –La première trace de Pasolini dans ma mémoire remonte en 1975, j’avais 10 ans et j’ai lu un bref article dans les faits divers au sujet de son assassinat et du scandale. Dans plusieurs étapes de ma vie, j’ai rencontré l’œuvre du poète, d’abord à travers son cinéma – j’étais étudiant et j’ai vu tous ses films – puis à travers sa production littéraire. Peu à peu, je suis rentré dans la force et la complexité de son œuvre, et depuis longtemps j’avais le désir de travailler autour de ses textes. La danse avec sa présence vivante représente un medium privilégié pour les véhiculer.
Pasolini en dépit qu’il soit une personnalité emblématique de la culture contemporaine reste un artiste atypique. Cette complexité et cette richesse, l’essentialité de son œuvre et l’étroite liaison avec le contexte social et politique – contexte qui par ailleurs fait aussi parti de mon vécu dans l’Italie des années 70 – m’ont poussé à travailler sur ses textes.
Pasolini incarne complètement cette tension entre l’artiste, son œuvre et le monde contemporain, qui sont à la base de mon questionnement. Après un travail de lecture, j’ai ainsi choisi parmi son énorme production littéraire, trois textes de nature différente.
Fritz Böhme – Comment as-tu abordé le travail spécifique de la danse et comment as-tu élaboré la gestuelle?
Carlo Locatelli –En général, mon travail part plutôt d’une présence que d’une gestuelle ; présence à soi-même, à son propre corps, à l’espace, et aux autres.
C’est à partir de cette présence (qui appartient sans aucun doute au corps subtil et qu’on pourrait aussi appeler « densité »), que la gestuelle naît, bien sûr en cohérence avec une exigence dramaturgique précise. Pour moi, en tant que danseur et chorégraphe de « Smart », il ne s’agissait pas de puiser dans un vocabulaire gestuel de la danse, et de composer et d’écrire avec ce vocabulaire dans un simple jeu d’accumulation avec les textes littéraires. L’enjeu était ailleurs.
Parfois ce sont les éléments plastiques qui ont donné forme à la gestuelle, comme dans le cas du costume/sculpture qui pose déjà des contraintes physiques, et qui empêchent le corps de se déployer dans une liberté gestuelle ; liberté, qui souvent est identifiée avec la nature même de la danse contemporaine.
Des fois, la frontalité du texte pasolinien, résolument politique est transposée dans une gestuelle presque martiale, où la formalisation et l’écriture deviennent l’essence même de la danse comme une sorte de graphie du texte qui s’incarne ; d’autres fois, la présence du corps nu devient signe lui-même, dans sa solitude et dans la relation avec les autres éléments scéniques.
Bien sûr, la danse a dû être élaborée de façon spécifique grâce à un travail sur les qualités de mouvement, l’écriture dans l’espace, l’intention, etc… Mais ensuite ce sont les exigences dramaturgiques qui ont guidé les choix esthétiques de la pièce. J’avais le désir en premier lieu d’expérimenter un tissage étroit de différents langages, et deuxièmement de travailler aux confins de l’abstraction et de la figuration.
Fritz Böhme – Quel type de relation y a-t-il entre Danse – Arts plastiques -Vidéo et Poésie ?
Carlo Locatelli – Déjà dans sa phase initiale, le projet chorégraphique Smart/trilogie pasolinienne a été pensé comme un tissage étroit entre plusieurs langages artistiques : danse – images – arts plastiques et textes littéraires.
C’est la chorégraphie qui unit dans une même interface scénique, la danse avec les autres éléments.
Dans chaque tableau, j’ai tenté d’explorer comment ces langages pouvaient se tisser et coexister pour créer une dramaturgie stratifiée,faite de signes.
J’ai toujours cherché l’équilibre entre abstraction et figuration, dans cette expérimentation des possibles croisements entre langages.
Parfois cette tentative d’arriver à une forme ni narrative ni abstraite, ou des deux ensemble, a été cherchée directement à travers un langage spécifique (par exemple dans l’élaboration de la gestuelle, des images ou des costumes), d’autres fois cet équilibre s’est construit dans l’interaction entre ces langages, dans une stratification et dans une synergie des signes.
Fritz Böhme – Comment as-tu travaillé avec les autres artistes ?
Carlo Locatelli –Pour cette création, après avoir tracé les lignes directrices du projet, j’ai pris un vrai temps de travail avec chaque artiste invité ; on a ainsi développé en étroite collaboration chaque partie spécifique de la pièce, qu’il s’agisse des costumes ou de la vidéo.
Je me suis ainsi engagé dans la conception et dans la recherche des matériaux pour les costumes, ou j’ai suivi activement les captations vidéo dans la ville – matériel qui a ensuite servi pour la réalisation vidéo. Chaque artiste invité a bien sûr élaboré, avec son talent spécifique la partie liée à son propre langage. Ce travail de co-création était nécessaire, vu le caractère multidisciplinaire du projet, et il a permis de rentrer dans un vrai processus créatif et de faire des choix précis.
Fritz Böhme – Parmi les figures du Guerrier, de l’Esthète et du Bouffon, laquelle t’a amené à explorer un territoire inconnu ?
Carlo Locatelli –Dans le processus de création, la figure du Bouffon a été la plus difficile à explorer, sûrement à cause de ma nature et de mon background, mais j’ai trouvé particulièrement intéressant et innovateur d’intégrer une attitude et une sorte de tromperie ludique, propre au Bouffon.
Interview à titre posthume par Fritz Böhme (1881 -1952 Allemagne). 🙂
Photos: Thomas Greil
Superbe spectacle, très belles photos et documents. Bacios LM